Le récit de ma première dissection
- Par docjunior
- Le 01/03/2016
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An 1543. Bâle. Johannides Oporinus publie le livre d'Andréas Vesalius. Livre considéré comme l'un des plus grands et premiers ouvrages sur l'anatomie. Il y fait la première description complète de l'anatomie du corps humain, décrivant soigneusement les os, les articulations, les muscles, le cœur et les vaisseaux sanguins, le système nerveux, les organes de l'abdomen et du thorax ainsi que le cerveau. Et par ce fait, il contredit Galien à de multiples reprises. En effet ce dernier s'interdisait la chose la plus essentielle pour connaître notre propre anatomie, il disséquait... des animaux. Ce qui fut source d'erreurs qui persistèrent de nombreux siècles durant.
Dans cet ouvrage magnifiquement illustré par Titien de Calcar et d'une remarquable précision, il réalise la première véritable étude anatomique et crée un ouvrage qui bien que décrié à sa sortie par les fervants fidèles de Galien tel que le célèbre Sylvius, servira de base pour les siècles à venir. Et pour cela, il avait réalisé une chose que Galien s'était interdit : la dissection humaine...
Mais ce jour là, j'étais bien loin de penser à ces bouts de cours de P1. Aussi intéressants soient t-ils et comme dirait Auguste Comte
« On ne connaît pas complètement une science tant qu'on n'en sait pas l'histoire. »
— Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 1830-1842
17H. 17H et on sort tout juste d'atelier respiratoire de la salle polyvalente. Ça y est ! Le moment tant attendu est arrivé. Accompagné de son angoisse et de sa folle impatience qui me saisi. Joyeuse compagnie. Qui me serre et m'enserre prête à me tordre les boyeux. Boyaux que je vais bientôt voir. Pour de vrai !!!
Pas réussi à penser à autre chose que cet instant dans l'aprèm. Enfin si un peu, rapidement, il fallait bien participer et répondre aux questions à l'atelier respi. Sauf que c'est un autre atelier qui s'annonce ! Et d'une autre dimension celui-là ! On va disséquer des humains !!!
Je me dirige vers la salle des TP. Elle se trouve dans un autre bâtiment. J'entre, gravis les marches d'escalier. Lentement. Mais surement. Une à une. Chacune me rapprochant de plus en plus de la salle de dissection. L'ascension se fait interminablement longue. Pourtant ce ne sont que 2 étages. Deux petits étages. Mais à chaque pas, à chaque enjambée mon coeur s'accélère. Bat la chamade, tambourine contre ma poitrine de plus en plus fort. Et encore plus fort à la pensée que je vais en voir pour de vrai un coeur. Un vrai de vrai ! Sérieusement !!!
Je monte...
Vais-je avoir le courage de dissequer ? Quelle sera l'odeur ?
Je monte !
Vais-je avoir le courage de rester sans vomir ? Est-ce que ça sera intéressant ?
Je monte !!
Que va t-il se passer ? Qu'est-ce que ça va me faire de voir des morts ? De tenir un coeur en main ? Un Poumon ?
Je monte !!!
J'atteinds enfin le deuxième étage du bâtiment TP. Mais j'ai l'impression d'avoir gravi l'Everest. Le temps s'étant ralentis l'espace d'un instant en montant. Je pousse la porte et débarque dans le couloir. Couloir qui grouille de P2. Une immense masse atroupée là. Attendant l'autorisation d'entrer pour aller joyeusement disséquer. Dingue tout de même qu'on nous autorise à assister à de telles choses, nous petits insectes de médecine en comparaison aux grands médecins, petits embryons médicaux ne demandant qu'à croitre.
Je regarde autour de moi, je vois de tout. De ceux extrêmement joyeux pret à rentrer dans la cours de récréation pour aller s'amuser. De ceux plus graves attendant sérieusement. Et d'autres plus rares un peu angoissés par ce qui va se passer. Je tâche de ne pas le montrer mais je fait plutôt partie de la dernière catégorie.
Et c'est à cet instant que mon nerf olfactif détecte la terrible odeur flottant dans le couloir. Odeur mortelle de la mort s'insinuant sournoisement dans nos narines. Puis je repense à ce qu'on m'a dit " fais gaffe, y'en a qui ont eu leur blouse tachée, ça gicle ! "
Et puis des dissections il y en a eu toute la semaine du lundi au vendredi. On est repartis en petits groupes d'une 40aine de personnes pour les ateliers et également pour la dissection. Alors bien sûr je me suis renseigné avant d'arriver. Et mes oreilles bourdonnent de tout ce que j'ai pu entendre " c'est tellement géniaaalll " ; " moi j'ai trouvé ça un peu écoeurant " etc. Ma tête sonne et résonne de toutes ces paroles qui se font écho bourdonnant dans mon cerveau et se mélangeant douçatrement.
L'attente se fait intenable. Insoutenable même ! J'ai tellement hâte d'y être. Et tellement pas...
Ça y est on peut y aller. Enfin !! Déjà ?! Tout le monde pénètre dans la salle. Ma tête commande à mes jambes d'avancer. Mes jambes refusent. Pas très courageuses celles-là ! Ma tête leur ordonne de se mettre en marche ce qu'elle finiront par faire, à contre coeur dans l'espoir de ne pas avoir d'haut le coeur. J'avance donc, mais à reculons. Il y a une table, il faut signer la feuille de présence. Puis je les vois. De loin...
3 momies emballées de partout. Aaaaaaaah y'a des momies sur les tables de dissection ! Bon oui en même temps on est pas ici pour conter fleurette dans le merveilleux monde des bisounours ! J'enfile alors ma blouse pendant que ceux qui ne l'ont pas prise se parent de surblouses et me dirige au hasard vers une des 3 tables.
Un interne en chirurgie cardiaque nous prend en charge. Il y en a un par table. Interdiction formelle de prendre des photos. Dans cette salle, la photographie est bannie. Releguée au fin fond de la foret de blouses blanches s'attroupant tel un immense troupeau à la lisière des corps. Expulsée de salle avec interdiction formelle de pénétrer dans ces obscurs bois de la dissection. Tout contrevenant empreintant le mauvais sentier et postant le moindre cliché s'exposera aux poursuites. Normal. C'est le minimum de respect à avoir.
Il nous explique alors l'alléchant programme. Dissection thoracique, vue du coeur, des poumons, du sternum. Explication et visualisation de là ou l'on pose nos sthéthoscopes à l'auscultation. Bonne nouvelle notre personne à disséquée est déjà " pré-découpée ". Le sternum ouvert. Il s'agit d'une vieille dame mais on ne voit rien. Rien hormis la partie à disséquer, le reste étant enfoui sous de multiples bandes bleues et prestement emballé et emmailloté. Elle est toute desséchée comme du papier jaunâtre maché. Sec, fripé, tout décoloré. Une vrai momie vous di-je.
Déshumanisant, on en oublierait presque qu'on ne travaille pas sur un matériaux mais bel et bien le corps d'un être humain. Mais à la table de derrière ce n'est pas le cas, c'est rouge, rouge vif même, sanglant à souhait ! Et sur la 3ème table c'est intermédiaire.
A ce moment je me fais la réflexion : ça ne sent rien. Pas mauvais en tout cas. Une douce odeur mentholée peut être, suave qui envahit les narines mais s'estompera rapidement pour faire place à l'odeur du couloir. Qui reviendra à la charge après une bonne heure de décomposition à l'air libre des corps. Qui s'installera progressivement pour ne plus jamais nous quitter. A croire qu'elle s'était attachée à nous et ne voulais plus nous lâcher.
Et encore puisqu'on a eu la " chance " de pouvoir s'y habituer progressivement. Je n'ose même pas imaginer pour quelqu'un entrant dans la salle à ce moment là après plusieurs heures de dissection. Et quand on se penchait au dessus l'odeur devenait insoutenable, encore plus pestilentielle qu'elle ne l'était déjà. Mais en restant sur le côté, sans trop se pencher, ça " allait ".
Bref, revenons à cette dissection. L'interne nous fait tour à tour découper, ouvrir et tenir. Nommez la structure que vous avez entre les doigts, faites en le tour et c'est gagné vous pouvez découper ! La lotterie macabre quoi ! Non merci pour moi, déjà regarder me suffit. Arghhhhhhh, horeur, j'ai gardé mon sthétho et mon marteau dans ma blouse qui date du stage et dont je n'avais pas vidé les poches. Vite avant de les salir je reviens en panique vers mon sac déposé à l'entrée. Tout le monde me regarde bizarre en croyant surement que je partais rendre le contenu de mon dernier repas. Mais j'ai l'estomac bien accroché ! Par contre il faudra les renettoyer la prochaine fois.
On ouvre le sternum, on découpe, on s'enfonce en profondeur. Plongée dans les abbysses du corps humain. Un voyage au coeur (littéralement parlant) de la dissection. On parvient au coeur (vous voyez quand je disais littéralement parlant !). Valve aortique, valve tricuspide, aorte, artère pulmonaire, coronaires, oreillettes, trabécules, ventricules. On voit tout. On touche tout. Cordages, épaisseur de la paroi, directions, formes. L'interne nous explique tout. Et mes cours de P1 me reviennent vaguement en mémoire. Hé bien les schémas tout nets et tout beaux de la prof, c'est plus joli !
- " Quel est ce nerf là ? Vous voyez cette petite boursouflure nacrée ? Allez un indice, il innerve le muscle respiratoire principal (le diaphragme hein). C'est le nerf phrénique ? Oui c'est ça ! "
- Et ce nerf qui passe ici sous la crosse de l'aorte à gauche ? Et oui c'est bien le nerf laryngé provenant du nerf vague ou pneumogastrique (Xème paire des nerfs cranien, rooh comment j'étale ma science ahaha attention c'est comme la confiture, ça colle et ça tâche haha). Il innervera les cordes vocales et faut faire gaffe à ne pas le léser dans les opérations. Ou finit la parole. Enfin on peut encore parler puisqu'il y en a un droit et un gauche. Et que celui à droite n'a pas le même trajet. Tiens d'ailleurs vous allez me le décrire !
- Et ces artères c'est quoi ? Et ces veines ici ? Et oui le tronc veineux brachio céphalique gauche ou se rejoignent veines jugulaire interne et veine subclavière et donnent ici la veine cave supérieure.
- Et à votre avis quels sont les premières collatérales de l'aorte ? Et oui c'est ça les artères coronaires qui assurent la vascularisation terminale du coeur (sans anastomoses donc pas de possibilité de déviation, donc si elles se bouchent c'est pour le moins embettant). Alors voici leur trajet, leurs divisions, regardez on part d'ici pour aller dans l'artère interventriculaire antérieur (la fameuse IVA), ici la marginale etc. etc..
Prenant confiance j'irai même jusqu'à tenir le coeur (splonch splonch) et le palper. On dégage ce dernier et l'interne demandera à 2 filles d'aller le laver entièrement. Puis nous le montrera sous toutes ces formes et coutures. Sous tous ces aspects et tous ses angles. Il mettait du coeur à l'ouvrage (et c'est le cas de le dire), à nous montrer, nous expliquer.
- Vous voyez ici le sinus coronaire assurant le drainage veineux du coeur ? Les parois des ventricules ? Mais le gauche est bien plus épais que le droit ! Hé oui c'est normal puisque c'est la partie gauche du coeur qui expulse le sang à travers l'arc aortique, sang qui passera ensuite dans la circulation générale !
--> Tout cela je le sais, enfin je l'ai su en P1 au moins. Mais le voir pour de vrai c'est impressionant. Et genant en même temps. C'est une personne décédée. Autrement dit on ne peut plus rien faire pour elle. Une forme de voyeurisme déplacé, un sentiment de malaise me saisi. Que j'oublie rapidement. Après tout elle a donné son corps à la science, c'est son choix, ce n'est pas du voyeurisme. Et pourtant j'ai l'impression d'être comme un enfant écoutant à la porte et regardant la pièce à travers l'oeil de la serrure. Sauf qu'ici la serrure c'est le thorax ouvert. Le plastron costal sorti !
Alors combien y'a t-il de côtes ? 12 répondons nous en coeur ! 7 vraies, 3 fausses et 2 flottantes ! Et oui poursuis l'interne, regardez ici, on voit bien que les 7 première sont reliées au sternum, ce qui n'est pas le cas des 3 suivantes reliées indirectement au sternum et s'articulant entre elles. Et pas du tout le cas des 2 dernières flottantes justement !
Idem avec les poumons que l'on dégagera. Et que je tiendrai également en main. Mais pas longtemps tant la consistance spongieuse est désagréable. Ce qui fera sourire un de mes camarades remarquant la moue de degout s'étant formé à cet instant sur mon visage. En même temps c'est mou, visqueux (visco élastique donc pour faire savant), je le savais déjà. Mais le tenir en main, le sentir et ressentir, c'est différent. Complètement différent. C'est comme savoir que la PACES est dure et la vivre ! Enfin non ptet pas tout de même mais vous voyez l'idée quoi !
Encore des questions. Nombre de lobes a droite ? A gauche ? Nom des différents segments pulmonaires ? Et malheur à celui ou celle qui a confondu l'hémostase et l'hématose (coagulation et échange de l'O2 avec le CO2 dans les alvéoles respectivement). Se tromper et la terrible malédiction carabine s'abbatra sur toi !
On est tous autour de la table, un peu serrés, jouant des coudes, bougeant sans cesse de place pour mieux voir. Buvant les paroles de l'interne qui s'écoulent fluidement de sa bouche. Paroles qui nous aident à nous guider dans cette plongée aquatique au coeur de l'anatomie du thorax. Voix nacrée de celui qui sait, qui explique. Eclairant et rafraichissant certaines connaissances un peu sèches avec le temps. Aussi sèches que la personne disséquée. Mais pour la première fois mises en pratique. Vraiment en pratique !!! Passionant !
Et parfois jetant un oeil (vu le contexte, je précise, non on a découpé l'oeil de personne pour le jeter hein ;-P ) à la table d'à côté. Et si nous nous avions une personne bien déssechée et surement présente depuis plus longtemps les autres table ont vraiment du sanglant. Rouge vif comme il le faut. De la bonne hémoglobine (bon allez je vous épargne sa structure).
Certains aux tables d'à côté sont même en autonomie parfois pour " s'amuser " sur le corps. Enfin pas s'amuser mais explorer et découper. Trancher muscles, tendons et fibres pour observer. Les mains dégoulinantes de sang poisseux.
Ah oui bien sûr on a des gants heureusement d'ailleurs, et l'interne découpant a même des surgants c'est pour dire. La dissection dure plus de 2H. Mais passe très vite. A vrai dire c'était très intéressant. Mais jamais je ne serai chirurgien. Oh ça non ! Et quelle joie ce fut de pouvoir se laver les mains et se débarrasser de ces malheureux gants où l'on avait tant transpiré. La libération ultime quoi ! D'ailleurs après avoir touché au corps on n'osait plus poser les mains le long de son corps de peur de se toucher. Ou de toucher autrui. Conséquence tout le monde les gardait figées devant soi dans une position statuale.
Au final pendant toute la séance il n'y eut qu'un seul malaise, on aurait pu s'attendre à plus. Mais s'était sans compter ceux qui devaient surement surement se forcer sans trop montrer. Même si beaucoup étaient très enthousiastes et ont surement du énormément apprécier. Puis on s'y habitue à la fin, enfin plus ou moins. Ça reste particulier. Très très très particulier...
Pour ma part, j'ai trouvé la dissection interressante mais c'est avec plaisir que je rentrai chez moi sous les blagues d'amis " si ça se trouve c'est ce qu'ils nous servent au RU à midi parfois quand ils sont à cours de viande ", laissant les préparateurs repreparer les corps pour les suivants. Et oui ! Il reste encore les jambes, bras, tête, abdomen à disséquer. On va pas gaspiller...*
Et voilà, on est vendredi soir. 19H30. An 2016. Et je l'ai fait. J'ai assisté à une séance de dissection ! Sans disséquer à proprement parler** certes mais j'ai vu, touché, senti et apprit. Sur le chemin du retour j'eu alors cette pensée pour Vésale. Grand maître qui avait ouvert la voie. Dont je venais tout juste d'empreinter et suivre l'illustre chemin. Car moi aussi j'ai disséqué !
* Encore une fois, je tiens à exprimer mon plus profond respect pour ces personnes ayant donné leur corps à la science pour que l'on puisse apprendre. Merci. Merci.. Merci...
** Et une dissection je peux vous dire que ce n'est pas tout beau tout propre. Ohh ça non !!!
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