Le sandwich du coeur
- Par docjunior
- Le 14/10/2017
- 3 commentaires
Ils sont 3. On arrive mais on ne les voit pas. Invisibles. Les regards passent puis se détournent. Les yeux glissent sans accrocher, imperméables, froids, non concernés. On les oublie. Les citoyens les oublient. L'état aussi. Mais ils veulent rester digner, des gens corrects et courageux.
Moi aussi j'arrive, sans les voir non plus. Je suis pour l'écologie et le recyclage, je peux au moins faire l'effort de trier mes déchets je soupire. Et dire que je dois sortir de chez moi pour cela et oublier le local à poubelle. Tant qu'à faire, je vais tout grouper en une sortie et en profiter. Vidage de poubelle, tri sélectifs, médocs périmés à la pharmacie puis une formule à la boulangerie parce que flemme de préparer à manger.
Je marche dans la rue, j'arrive aux bennes publiques. Je ne les vois pas. Ils sont derrière, adossés, par terre. Fatigués mais souriants. Révoltés calmement. Ils m'interpellent. Blaguent et me demandent un mouchoir que je m'apretais à jeter pourtant à peine usé. Car oui même s'acheter du papier n'est pas aisé.
Je jette tout aux bons endroits tout en discutant un peu. Mes sacs sont remplis ça prend du temps. Ils m'expliquent que la vie est dure, chaque jour est une épreuve et l'avenir incertain. Etre à la rue sans chez soi, se demander ou dormir tous les soirs, sentir l'indifférence générale de ceux qui eux, vont bien, détournent les yeux, oublient. Lui aussi avant d'être abusivement légalement licencié par un plan social avait un toit, un revenu mais il a finit par se faire expulser et sa demande de relogement à restée lettre morte.
Avec des emprunts à rembourser, tout s'est compliqué. Et c'est après avoir tout perdu qu'on réalise l'hypocrisie de la société. Que personne ne vient les aider dans l'indifférence et le mépris caractérisé. Pourtant il veut s'en sortir, ne pas rester dehors la nuit jusqu'à pourir. Car sa vie est objectivement déjà pourrie. Mais pas fichue. Pas encore.
Je finis par demander, poser la question que quelqu'un bien né serait en droit de poser, celui qui croit que tout est simple et rien n'est compliqué, celui qui n'a jamais connu la misère d'être à terre.
" Mais pourquoi ne cherchez vous pas du travail ? "
Après tout il pourrait s'en sortir non ? Trouver son job, avoir un revenu et retrouver un logement. Après tout, il est pas si vieux sans être tout jeune non plus !
" Du travail me répond t-il j'en trouve demain si je veux "
Mais pour ça il me faut un toit ! Ça fait 3 ans que j'ai fait une demande de logement social, toujours rien ! C'est pour bientôt qu'on me dit à chaque fois, vous êtes sur la liste d'attente.
Pourtant c'est une urgence ! Pourquoi lui faut t-il un toit ? Pour pouvoir arriver propre au travail, se doucher, se laver ! Pour avoir une stabilité aussi bien physique que psychique, ne pas être épuisé après avoir passé une nuit sous les ponts sur un carton. Parce qu'on emploi pas un SDF aussi !
Je finis de jeter mes dernières bouteilles plastiques. Et là d'un coup je propose. Si vous voulez je vous offre un sandwich, c'est pas grand chose et je roule pas sur l'or mais si je peux vous filer un tout petit coup de main...
Il me regarde. Je le regarde. Il me dit :
" Ce sandwich vient du coeur "
Je pars, je passe à la pharmacie jeter mes médicaments périmés (ils datent de la paces quand même mais comme je suis en pleine santé, je n'en ai jamais eu besoin en presque 4 années) et sur le retour je m'achète une formule sandwich au saumon, tarte au citron et boisson. Plus un poulet crudité. Je repars le leur donner. Il l'offre à sa femme. Tiens ma chérie, mange le ça va te faire du bien.
Je leur dis que j'aimerai tellement qu'on puisse dans la société vraiment mieux s'occuper et aider les gens comme eux dans une situation semblable mais que malheureusement ça n'est pas le cas et que je le regrette tellement. Le troisième me regarde, triste mais toujours avec cette lueur de l'espoir allumé, la flamme du combat qui est resté éveillée et me dit " et moi donc ". Malheureusement pour eux ça ne sera pas les dernières élections qui changeront quoi que ce soit...
Je lui dis que ce sont des gens courageux. Il me répond " et corrects ". Je pense " et dignes ". Je leur souhaite bon courage et je repars manger mon propre repas chez moi.
Sur le chemin, je suis satisfait de ma bonne action. Mais pas tant que ça. Est-ce pour moi aussi un moyen de détourner les yeux, de me cacher en plein jour face à ma conscience ? Le fait de nier mon impuissance ? Ou tout simplement de me donner bonne conscience ?
Nous sommes si nombreux à oublier ou ne pas voir ce qu'il y a autour de nous. Car nous habitons les bons quartier, allons aux bons lycées, à la bonne université, nourris et logés, sans situations trop socialement compliquées à affronter. On va bien et on s'enferme à plusieurs dans cette sombre pièce de l'oubli des réalités.
On regarde la souffrance à l'hopital mais on ne la voit pas. Car on prend du recul, car on s'éloigne, car on va pas trop se prendre la tête non plus, car il faut rester professionnel, car on est pétri de bons sentiments face à une misère qu'on plaint sans aller plus loin ni rien faire de bien pour demain. Car on a nous aussi nos problèmes, nos examens, qu'on a pas à porter toute la misère et les souffrances du mondes sur nos épaules à moins de vouloir en être soi même affecté. Alors on voit mais on ne regarde pas. Ou l'on regarde sans voir. Au choix.
Même moi parfois. Je pense aussi à une voisine plus bas, un peu seule je le sais. Mais est-ce à moi d'aller lui tenir compagnie, voir même d'aller un peu lui parler au risque qu'elle en veuille à nouveau plus ? Après tout ses problèmes ne sont pas les miens et j'en ai déjà assez à moi seul. Pourtant elle est sympathique cette voisine, juste un peu seule. Elle aime papoter et discuter, même longtemps. Me suis je dit que si je commençais ça risquait de ne pas s'arreter ?
Mais ce n'est au final qu'un seul exemple. C'est la société, notre société. Une société auto centrée sur soi et ses proches. Pas sur le voisin, pas sur les autres inconnus. On masque les problèmes on se voile la face parce que tout va bien pour nous. Et on marche, on avance. Sans se retourner. Des problèmes trop durs pour nous à visualiser ou imaginer.
C'est un peu tout ça que je me suis dit après les avoir rencontré, " osé " discuter, écouté leur histoire, leur galère et leur vision de la société. Pour une fois je les ai vus et regardés, entendus et écoutés. Courageux, corrects et dignes. Me parlant d'égal à égal, sans honte bien qu'avec tristesse mais aussi détermination. Sans baisser les yeux face à la société qui l'observe de son piedestal doré à l'abri de la tempête.
Depuis toujours sur ce blog je me suis dit que j'essayerai de garder cette vision et cette sensibilité. J'espère que ma flamme ne va pas vaciller.
En tout cas, ce sandwich, jamais ils ne me l'avaient demandé. Je le leur ai quand même donné.
Commentaires
-
- 1. Lydia K Le 04/11/2017
Superbe article !
Je ne vais pas répéter ce que tu as déjà dit, en effet on voit sans regarder; on vit une certaine stabilité et c'est comme si s'intéresser à l'autre nous apporterait ennuis et misères alors on se renferme ... Pourtant nous sommes tous des êtres-humains même si chacun a sa propre histoire ...
Bonne continuation à toi!
Chaleureusement,
Lydia, jeune P2 haha.-
- docjuniorLe 01/01/2018
Merci toi aussi !
-
- 2. Petite-Cuillère Le 30/06/2017
Très intéressant. J'ai toujours eu envie de demander aux SDFs pourquoi ils sont SDF. Je n'ai jamais osé. Personne ne le fait. Il y a un espèce de tabou, de non-dit. Pourtant, je suis sûre que si on connaissait les causes réelles, ça pourrait faire démentir un certain nombre de "Quand on veut, on peut"/"C'est qu'il faut s'adapter à la société" ou pire "Les SDF veulent juste de l'argent pour boire."
J'avais entendu dire que la plupart manquent aussi beaucoup d'attention, en plus de la faim. Qu'un "bonjour" avec un sourire sont déjà bien quand on ne veut pas donner d'argent, même si on a tendance à détourner le regard quand on sent une demande d'argent à laquelle on ne veut pas forcément répondre. Bravo pour ton sandwich, il m'arrive de donner aussi, et je me pose aussi toujours les mêmes questions que toi.
Peut-être que si nous étions nous même à la rue, on deviendrait sale, on aurait pas de vêtement propre, les gens fuiraient notre regard, on ferait payer sur nous la réalité de notre situation, on pourrait devenir fou à cause de la solitude et du froid, on commencerait peut-être à boire pour se réchauffer... Et malgré cela, il y a une tendance sociale naturelle à exclure le SDF.
Ajouter un commentaire