Le théâtre de la vie

Theatre

Je suis prêt, je sais ce que je veux, ce dont j'ai besoin. Ah ça fait déjà 30 minutes de retard et ça ne me plait pas d'attendre. Mais il va bien falloir que je le prenne mon mal en patience. Car si je suis là c'est pour une bonne raison. Et ce que je suis venu chercher, je suis bien décidé à l'obtenir...

" M. Mastoc, c'est à vous " me dit la secrétaire. Enfin, c'était pas trop tôt ! ...

Je me lève, pénètre dans le cabinet et m'assois face au bureau.

- "M. Mastoc bonjour que puis-je faire pour vous ? " S'exclame mon médecin généraliste d'une voix enjouée. Oui, je ce médecin le connais depuis un bon moment, c'est lui qui me suis depuis longtemps déjà. Enfin, ne vous imaginez pas que je suis vieux et rabougris. Non, j'ai 25 ans et suis dans la fleur de l'âge.

- " Alors voilà, avec ma copine on a prévu de se faire un voyage en bateau au tour du monde. Ça fait un bon moment qu'on y pense, qu'on le planifie ce voyage, vous vous en doutez c'est du travail bien sûr " lui dis-je sur un ton agréable.
" Ce sont des mois et des mois de préparation pour organiser tout ça. Sauf que voilà, le bateau c'est tout à fait épuisant et creuvant. Le problème étant que ma copine et moi, on n'arrive pas à dormir parfaitement la nuit vous voyez ? Enfin on aurait besoin de somnifères en avance histoire d'être bien reposé et prêt à faire face à toute éventualité."

Sans se départir de son sourire, il me répond

- " Vous savez je ne peux pas vous prescrire de somnifères comme ça sur un coup de tête. Les médicaments ce n'est pas anodin... "

Sans lui laisser le temps de continuer, je le coupe. La voix grave mais toujours posée, me redressant sur mon siège. Car oui je suis assez imposant, j'ai une carrure d'athlète que je me suis forgée à la salle de musculation au fil des ans. Ça je le sais parfaitement. Je le sait pertinemment. Et ça ne sera pas vainement ! Je compte bien en profiter évidemment...

- " Je sais très bien ce dont j'ai besoin, je ne suis pas un idiot et je sais me gérer. Je ne prendrai ces somnifères qu'en cas de nécessité vous savez. Vous pouvez me faire confiance. "

Sans céder, il me répond

- " Je comprends vous savez. Et comment ça se passe avec votre copine en ce moment ? "

Je l'arrête de suite. Non mais ma parole, je ne suis pas venu pour parler d'elle et de moi, qu'est-ce qu'il s'imagine ? Que ça ne va pas entre nous ou quoi ? Il est tout à fait à côté de la plaque, je viens pour une raison bien précise. Je répète alors, plus insistant :

- " Ecoutez, tout va très bien entre ma copine et moi, ce n'est pas le sujet ! Non, je viens pour que vous me prescriviez ces fichus comprimés. Ecoutez, la bàs on sera seul au milieu de l'océan et si jamais il nous arrive malheur à cause d'une trop grande fatigue car il faut toujours être sur le pont, sur le qui vive, hé bien les causes seraient multiples. "

Oui par là, j'insinue ce que vous avez pu comprendre : qu'il serait responsable de notre éventuel décès. J'entends comme un murmure dans la salle mais je n'y prette pas attention.

- " Ecoutez je comprends vraiment mais...

- Mince alors !! Vous ne comprenez rien du tout, on a besoin de ces FICHUS médicaments. C'est notre vie que vous risquez en ne nous les prescrivant pas !!! C'est votre responsabilité que vous engagez. Par ailleurs, on va aussi avoir besoin d'amoxilline pour traiter une éventuelle infection bactérienne. Et ma copine aura aussi besoin de quelquechose de fort car elle a un début de bronchite. Je sais ce dont on a besoin, c'est pas compliqué. Vous n'avez qu'à nous le prescrire et c'est réglé !

- Ecoutez M. Mastoc, en tant que médecin, professionnel de la santé, je ne peux pas vous prescrire ces médicaments comme ça sans justification. Ne vous inquiétez pas, je ne vous vois pas malade, vous êtes en pleine santé et pour votre copine il faudrait que je la voie d'abbord avant de pouvoir faire quoi que ce soit.

- Mais puisque je vous dis que j'ai ai BESOIN !!! Je commence à soupirer, franchement agacé à présent et je lève les yeux au ciel. C'est pas si compliqué pourtant, il comprend rien à rien lui ! Il me croit hypocondriaque ou quoi ? Franchement ! Et ça commence à m'énerver...

-Ecoutez, on peut essayer de trouver une alternative, si vous ne vous sentez pas bien lors du voyage, il suffirait de m'appeler et on pourrait voir ensemble

- Mais enfin, vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Je serai seul avec ma copine au milieu de la mer, il n'y aura rien autour !!! Vous pensez pouvoir me prescrire par téléphone puis qu'une pharmacie bateau apparaitra comme par miracle ? HEIN !!! C'est ridicule enfin." Là ça y est je suis en colère. Il me croit sur un bateau de croisière ou quoi ?!!!

Il est temps de mettre fin à cette farce ridicule qui n'a que trop duré. Je me lève !!! Je tape du poing sur la table !!! Stop ça a assez duré ! Il va me les prescrire ces fichues pilules !!! J'approche mon visage du sien !

- MERDE ALORS QU'EST CE QUE VOUS NE COMPRENEZ PAS BON SANG !!! C'est simple !!! Il y a un putain de VOYAGE, on sera SEUL et on a BESOIN de ces médicaments. Alors vous allez me les prescrire IMMEDIATEMENT !!! Il n'y a rien de plus à comprendre !

Je ne crie pas, pas encore mais je parle vraiment fort. Très fort. Mais surement pas trop ! C'est mon droit ! Il ne comprend pas et je me dois de lui montrer la bonne direction. On doit surement m'entendre à travers la porte mais je ne m'en soucie pas le moins du monde. Je suis debout et fulminant, les mains posées sur mon bureau. Le regard fixe, droit dans ses yeux lui assenant des éclairs visuels. L'assommant de mon regard lourd et décidé. Le frappant de ma présence imposante. Lui intimant de me les prescrire pour être tranquille. A ce moment je le sens, il est désemparé. Il va craquer. Il va céder. Il hésite une fraction de se seconde. Faut-il se lever ? Rester assis et tenter de me raisonner ? Il choisit la seconde option. Heureusement d'ailleurs sinon j'aurai explosé et répondu au défi ainsi lancé !

- Rasseyez vous, calmez vous ça ne sert à rien de s'énerver. Me dit-il d'une voix posée, sur un ton calme. Calme mais ferme.

- Mais MINCE alors sur quel ton dois-je vous le dire ? HEIN ! J'en ai besoin, vraiment BESOIN !!!

- Ecoutez rasseyez- vous. Puis il reprend l'entretien comme avant. Et c'est à mon tour d'être désemparé. Je ne vais tout de même pas le menacer ! J'ai utilisé toutes mes armes pour le faire céder. Mais il est resté de pierre. Et je suis ridicule debout comme ça. Alors je me rassois.

Et des applaudissement fusent. De la pièce. Je tourne mon regard. Et là, je les vois. Je les avais complètement oublié. Pendant ces 10 minutes. Entièrement oublié, mis de côté. Pris dans la fureur de M. Mastoc. Et là je fais tomber le masque. Je cesse d'être M. Mastoc qui voulait à tout prix ces médicaments pour son voyage avec sa copine. Et là, je redeviens moi. Doc Junior. Mais j'ai encore les jambes qui tremblent. Les genoux qui claquent. Le visage légèrement déformé par la colère. La voix grave et puissante. 

La pression retombe tout doucement, mais je reste tremblant. Vide. Vidé par M. Mastoc qui m'a totalement absorbé pendant ces quelques minutes. Car ça n'est pas du tout ma personnalité. Je suis joyeux mais pas colérique. Plus calme sans être timide pour autant. Et je ne pouvais pas le jouer à moitié. Non, je me suis entièrement plongé dans sa peau. Et ces putains de médicaments, je les voulais vraiment !!!

Et là on commence à décrypter la scène. Avec le professeur et les étudiants, mes camarades de P2, de mon groupe d'atelier communication. Bien sûr M. Mastoc n'existe pas, enfin pas vraiment.

Bien que n'ayant pas obtenu son " dû ", il aurait toujours pu aller voir un autre confrère, ou tenter sa chance à la pharmacie. Mais on s'est arrêté là. Une question qui nous taraudait, c'était : comment terminer la consultation ?

- Cette scène on aurait du la filmer s'exclame le professeur. Alors qu'en avez vous pensé ?

Bienvenue en cours de communication. Un cours de réflexion, d'interrogations mais aussi et surtout de mise pratique. Et oui, apprendre à gérer tout type de situation, ça fait aussi partie de notre formation !

Des situations on en a joué plein, qui posent à chaque fois de multiples questions, qui nous font apprendre. D'ailleurs dans l'article je vous ai transmis les pensées du médecin, mon camarade qui n'a pas immédiatement comprit ce qui n'allait pas chez moi. Au début il pensait à un problème conjugal, puis à un hypocondriaque. Ce n'est qu'au bout d'un moment qu'il a comprit de quoi il retournait. Et vous voyez, ça n'est absolument pas évident.
Mais on a aussi beaucoup réfléchit. Sur les attitudes à avoir, sur la communication, sur la manière d'être avec le patient. Soulevant de nombreux problèmes et interrogations. Et toutes ces situations, je compte bien vous en faire ma petite narration :-)

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Commentaires

  • Petite-cuillère
    • 1. Petite-cuillère Le 26/01/2016
    J'aime beaucoup cet article, très bien raconté. La première fois que je l'ai lu, je me suis fait avoir d'ailleurs. Je me suis dit :"Mais qu'est-ce qu'il raconte Doc Junior ? Qu'il veuille faire un voyage en bateau pourquoi pas mais pourquoi est-ce qu'il tient absolument à prendre des somnifères ? (et honnêtement, si t'as réussi à supporter le stress de la P1, il faut plus qu'un voyage en bateau pour t'empêcher de dormir ^^)" En tout cas, je ne savais pas que vous faisiez ça en P2, je trouve ça très important et intéressant ! PS : sympa la nouvelle déco du blog ;)
    • docjunior
      • docjuniorLe 28/01/2016
      Haha piégée. Merci des compliments sur cet article que je me suis donné du mal à écrire ;-) Par contre t'avais pas remarqué dès le départ que je parlais de M. Mastoc (nom au pif) et que je disais qu'il avait 25 ans aussi :-) Autrement pour la déco du blog, justement c'est en suspend, j'attends d'ici un mois environ de voir les résultats du sondage histoire de savoir quel design appliquer. Alors n'hésite pas à aller voter !

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